Wednesday 27 September 2023

D’un Voyage

D'un voyage, il y a les récits que l'on raconte. Et puis, il y a toutes ces dizaines d’autres petites histoires que l'on tait car trop précieuses, trop vibrantes, celles que l'on garde au creux de soi de peur de ne pouvoir trouver les mots justes qui sauraient retranscrire ces moments intenses, ceux-là même qu'on laisse flotter dans l'air comme ces bulles de savon aux reflets multicolores que personne n'ose toucher de peur qu'elles éclatent. La mémoire est un choix et, certains souvenirs, si besoin est qu'on en parle, se doivent d'être filtrés, palpés et relatés avec une minutieuse sélection de mots. 

Mais quoi raconter? Et surtout, à qui raconter?

Comment faire pour que cet éclat qui rayonne dans nos yeux scintille également dans notre bouche et fasse flancher le coeur de celui qui écoute? Explosion ou implosion, qu’importe? 

En quittant l'ile, Antish et moi étions portés par une intention mais voilà que nous rentrons de cette grande virée, conquis et quelquepeu déstabilisés. Difficile de réconcilier ce qu'on a vécu là-bas avec notre quotidien d'ici. Par où commencer? 'Allow things to dissolve by themselves' nous a conseillé Jetsunma Tenzin Palmo, ' life has its own way of bringing you where you need to be'. 

Népal 2018 / Népal 2023: la vie a creusé son sillon et si elle a fait de Kundan un moine aux responsabilités multiples, elle a également décuplé sa bonté et sa sagesse. "Always things do with clean heart. Important! No things do if lazy or cannot " m'a-t-il dit dans son anglais approximatif un après-midi en me prenant en aparté. Venant de Kundan-La, cette phrase vaut tout son pesant d'or, lui mon mentor, mon guide.

A Dharamshala, nous nous sommes retrouvés à moins d'un mètre de Sa Sainteté. Il a posé son regard sur Antish et lui a sourit. 

Tout est dit. 

Le voilà béni à jamais. 

La vénération que le peuple tibétain porte à Sa Sainteté Le Dalaï Lama est indescriptible, cela a laissé une trace indélébile sur moi et m'a fait prendre conscience à quel point beaucoup de choses m'échappent, moi qui suis confiné sur un si petit bout de terre à l'autre bout du monde. Les images à la télé ne pourront jamais tout dire. Il y  tant de vérité que l’on ressent sur sa peau lorsqu’on se retrouve dans un tel lieu.

A Chitwan, c'est dans des circonstances les plus folkloriques et sympathiques qui soient que nous avons fait la connaissance de Roopakali, une femelle éléphant . Sous une chaleur invivable et avec l'aide du cornac, nous sommes partis lui donner son bain dans une rivière à l'eau boueuse et opaque. Une petite heure de pur bonheur, notre paranthèse magique à nous qui a accouché d'une de mes plus belles photos. Cela valait amplement la peine de parcourir 6000 kms pour immortaliser ce moment.


Et puis il y a Kathmandu où nous sommes allés rendre hommage à Lama Zopa et où j'ai eu le privilège de prendre refuge auprès de Khenrinpoche Lama Chonyi, le grand Abbot de Kopan. Jamais de mon existence j'eus imaginé avoir la chance de porter un prénom tibétain suite à une divination. Serai-je finalement l'individu complet que j'aspirais à devenir, celui avec une appartenance? L'errance d'une vie s'est-elle conclue là, dans cette petite chambre feutrée au premier du grand gompa? J'ose le croire.

Autre moment clé, celui passé avec le vénérable Ang Lo Sang dans son apartement privé. Une conversation extrêmement enrichissante autour de l’importance des pratiques déclenche une profonde réflexion en moi. J'ai soudain cette étrange impression qu'il nous attendait, qu’il s’agit en fait d’un scénario écrit d'avance. Un peu comme dans un songe, chaque question posée me mène vers une évidence, vers une réponse tellement simple et utile, vers  quelquechose qui ne m’avait encore jamais effleuré l’esprit jusque-là. C'est très difficile à expliquer mais j’ai vraiment eu la sensation d’un moment mystique, hors du temps où toutes les pratiques que j’avais effectuées depuis un an portaient désormais leurs fruits. 

Comment conclure sans faire mention de Bodha,? Comment exprimer ce bonheur suprême de faire le kora autour du grand Stupa? Cinq ans après, alors que j'y repose les pieds, j'ai tout de suite la gorge serrée, submergé par l'émotion d'être revenu à l'endroit même qui avait fait naître en moi une infinie de possibilités. Bodha, l'envoûtant. Bodha et son parfum d'encens. A l'instant précis où j'écris, ce moment explose de nouveau dans ma tête. Dévotion, foi, compassion, effort, tout y est présent. Bodha, c'est un peu comme se retrouver au centre de l'univers.  

J’ai conscience de cette tendance que j’ai à ajouter beaucoup de lumière à mes récits, semblables aux modifications que j'apporte à mes photos en y rajoutant des filtres. C’est plus fort que moi. C'est ainsi que j’ai toujours vécu ma vie, en y améliorant tout ce qui sort de ma tête et en caressant cette mémoire lovée en moi. Je préfère parfois le ressenti des souvenirs aux images figées, histoire de rendre tout ce qui est abstrait palpable et incarné, vif et tranchant. 

D’un voyage, il y a les récits que l'on raconte. 

Et puis, il y a toutes ces dizaines d’autres petites histoires que l’on tait.


Douze petites minutes

Quatre rues séparent ma maison de C hez Ram où trois pains maison chauds chauds  m'attendent tous les matins. Cinq minutes à pieds pour ...