Monday 10 October 2022

D'Homme à Homme

Festival du livre de Trou D'Eau Douce vendredi dernier: cela me fait un bien fou de faire partie du public, d'écouter avec gourmandise tous ces écrivains poser leurs regards sur la vie. L'espace de quelques minutes, je m'imagine secrètement dans leur peau en train de manier avec verve et allégresse cette belle langue française et faire preuve de lyrisme, devenant le temps d'une petite heure cette source d'où coulent paroles, idées, clairvoyance, imaginaire et parfois même prophéties. Les écrivains ne détiennent certainement pas les réponses à tout mais leur quête d'absolu est noble et ils la portent telle une charge héroique devant la face du monde.

Entendre Ananda Devi confier que, pour un écrivain, écrire est le plus pénible des exercices, le plus douloureux car c'est vouloir formuler et retranscrire un ressenti qui se termine inéluctablement sur un goût d'inachevé, c'est prendre conscience de la tâche monumentale qui l'attend face à la page blanche. Toujours ce même effort pour enfanter, pour améliorer, pour aller plus loin que là où la plume s'arrête. Et à Mohamed Mbougar Sarr d'enchérir qu'au fond la littérature ne peut se contenter de n'être qu'un regard anondin, elle a le devoir d'être un point de vue franc et cru, elle porte en elle la responsabilité du changement qui opère dans le monde.

Je suis heureux de connaitre Umar. J'aimerai le côtoyer plus souvent mais le temps nous fait défaut. Il n'a pas tellement changé au fil des années, il a simplement évolué avec bonhomie, toujours porté par ce courage supplantant ses doutes. Il s'abreuve de connaissance et de liberté, de fausses angoisses aussi. Il m'est arrivé à plusieurs reprises de penser qu'il est ce deuxième frère que j'aurais souhaité avoir, celui qui aurait su trouver les mots pour m'encourager, me pousser, me faire réfléchir, me remettre en question et je ne me serai pas senti petit à côté de son talent, peut être même que j'aurais existé et que, comme lui, je serai parti à la recherche des mots et des vérités. Le destin aidant, je me serai même touvé un peu de talent. Non, ça c'est lui qui l'eût déniché, tapis au fond de moi, lui qui n'a pas cette colère hostile et discriminatoire face à la médiocrité des gens. Le grondement qui fait vibrer sa chair, il le canalise et l'exprime par des propos toujours mesurés. Lui, a su trouver l'amour, le support, la stabilité (forcément c'était écrit d'avance car c'est un homme bon), lui, a su évoluer d'écrivain à photographe et a accompli bien des choses malgré ses fausses angoisses. Lui, a "réussi sa vie".

Il y a des gens qui sont nés pour exister, pour briller et il y en a d'autres, comme moi, qui malgré tous leurs efforts arrivent à peine à se démarquer. J'eûs étudié assidûment et fait l'apprentissage de chaque syllabe, travaillé, retravaillé, encore et toujours re-retravaillé mon texte, le soigner, le peaufiner, l'embellir de belles courbes et de jolies formules inspirantes que je n'y serai jamais parvenu. Ecrire, c'est dire la vérité, c'est se livrer et ce genre de courage on l'a ou on ne l'a pas. Il y a des gens qui croient en leur talent, il y en d'autres qui croient avoir du talent, je ne suis pas dupe, je connais ma place dans l'ordre de l'univers. On peut s'affranchir de certaines choses dans la vie mais à quoi bon essayer de chercher des prédispositions qui n'existent nul part en vous? La voilà peut-être la conversation que j'aurais souhaité avoir avec Umar un jour, à la dernière limite de ma vie, pouvoir lui confesser ces choses que d'homme à homme on ne dit pas, histoire qu'il me réponde "au fond, c'est pas très grave, tu sais."

 

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