Monday 13 August 2018

Mon ile

Mon ile affiche ses couleurs et deploie ses humeurs au gre de ses deux saisons. En ete, le souffle bleute de l'ocean vient cotoyer le gris de la precarite des cites, en hiver, les fines pluies, vaciller les esprits et consolider les prejuges. Mon ile s'auto-flagelle a coups d'injustices et d'inegalites et celebre son peuple passif et la mediocrite de ses gouvernants.

Mon ile se gave de fraudes et de drogues, de corruption et d'hypocrisie, de crimes et d'accidents. Elle en est obese. Ses contours epais dessinent des reves mauvais et un avenir incertain. Sa jeunesse la fuie comme on fuit devant une mere maquerelle sans se rendre compte que c'est elle, pourtant, qu'on s'evertue a prostituer et a polluer au fil des decennies. Colonialisme nouveau, etat d'esclavage 2.0, crasse, malveillance et oubli, ainsi est le bouquet patiemment compose qu'on leguera aux survivants de demain.

Et pourtant...

et pourtant, cela lui prend, de temps en temps, d'avoir quelques sursauts d'orgueil epars. Dans ces moments la, elle resiste a toutes les lamentations qui s'elevent dans son ciel noir tel un chant strident. Elle detournera ses yeux incredules et choisira de donner le sein a ses enfants, ce sein d'ou decoule un larak au gout de marronage et a la saveur coloniale. Elle leur fera boire la verite de leur histoire jusqu'a la lie afin qu'ils puissent enfin danser d'une seule cadence au rythme d'un sega commun.

Quand je la sillone les matins de pluie, je la regarde, mon ile, je l'observe avec mes larmes de desillusion et mon desespoir mais c'est plus fort que moi...je ne parviens pas a la detester. Ilois, je suis et il n'y a pas grand chose que je sache faire sinon aimer ce bout de terre.

Cela me touche et me rassure que mon pays ne m'ait jamais rejete, qu'il ne m'ait jamais renie, maltraite ou fait de moi un migrant. Il m'a tranquillement accepte malgre les multiples identites dont on m'a affuble...malbar, gran nassyon, piti sodnac, royalisse, athee mais jamais morisyen. ou si. morisyen uniquement quand j'ai quitte son rivage et que le son du sega, entendu au detour d'une ruelle un soir, a mecaniquement fait voltiger mes bonnes manieres et ensorcele mon corps. morisyen, des que j'entends le prenom Marcel et que tout me ramene vers Cabon comme d'autres volent vers Proust ou Pagnol. morisyen quand le mover langett -falourmama ne resonne pas comme un juron a mes oreilles mais plutot comme des mots massala, des mots chauds qui me rappelent la torridite affectueuse des echanges entre locaux.

Mon ile est composee de non-dits et de tabous. parfois il vaut mieux que certaines pensees restent au fond du ventre. Les quelques tensions palpables entre communautes ont beau etre attisees par ceux 'bien places' mais elles encore du mal a se traduire en veritable haine de l'autre. Notre peuple a traverse trop de meandres pour comprendre qu'il ne sert a rien de se dechirer sur un caillou perdu au milieu de nul part. Il aura beau avoir mille defauts ce morisyen, il est, cependant,  dans l'incapicite totale de hair cet 'autre' avec qui il vit depuis si longtemps. Son ADN en est ainsi constitue; il nait sur ces quelques kilometres de territoire et se formate pour etre dans la tolerance voire l'acceptation de l'autre et non dans son rejet.

Mon ile aux mille et une teintes, mon ile aux milles dieux, mon ile au destin etrange...




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